
Bief n°9, 1er décembre 1959
SOMMAIRE | |
NS | L'Hénaurme |
Jean Schuster | Wolfgang Paalen |
Marcel Duchamp | L'érotisme est une préoccupation qui m'est chère... |
Gérard Legrand | Dans le même sac |
Radovan Ivsic | Le zèbre précurseur |
Gérard Legrand | Roseaux plus hauts qu'un homme |
Jean-Claude Silbermann | De longue mémoire |
Jean-Pierre Lassalle | D'une lettre à André Breton |
Pierre Dhainaut | Urbanisme |
René Gardies | Entre la révolte et un espoir |
collectif | Vivant parmi nous |
NS | Un grondement dans les forêts |
P.2
L'HÉNAURME
« Un Cecil B. de Mille surréaliste a construit ce décor. » (Jean Cau dans L'Express du 24 septembre 1959 : il s'agit simplement du village provençal des Baux) .
« Le choix de Cocteau est excellent, on nous donne le Cocteau mordant à pleines dents au fruit pulpeux de la vie, et le Coteau surréaliste. S'il me fallait expliquer à des garçons de dix-huit ans l'effarante gymnas- tique intellectuelle du surréalisme, je crois que j'utiliserais ce choix-là. » (Maurice Allard, dans le Bulletin de la Société des Professeurs de Français et de Langues Anciennes, n° 128, juin 1959, à propos d'un microsillon édité par Seghers).
Bien que le surréalisme n'y soit plus en cause, ne résistons pas au plaisir de contribuer au dossier littéraire du premier personnage du régime (cf. J.-F. Revel : Le Style du Général, et l'article de Roland Barthes, dans France-Observateur du 12 novembre) avec cette perle extraite du même bulletin professoral : « Il m'est arrivé plusieurs fois de traduire en latin du De Gaulle! Cela passe très bien (sic) en latin. » (E. de Saint- Denis, Faculté des Lettres de Dijon). Une réforme des enseignants est décidément nécessaire.
Wolfgang Paalen
Wolfgang Paalen a fermé lui-même la porte, en septembre demier, près de Mexico. On eût dit qu'il usait de la couleur pour perpétuer à plaisir le conflit théorique Goethe - Newton. Aussi qu'il substituait à ces chiens de faïence que sont la poésie et la science un couple de loups, chair et os, mortellement amoureux.
Il a peint le germe de tous ses voyages, appréhendé dans l'immobilité d'avant un départ que l'inspiration déconseille.
Les boulevards de l'imagination unissent le tertre de Novalis aux totems de Queen Charlotte Islands. Une course jamais assez folle au gré de Paalen, qui chronomètre et éperonne. Course noire des grands questionnants.
Il ne manquait à la nuit, depuis le double coup de feu de Wannsee, que ce geste de Wolfgang Paalen.
Un seigneur de l'Imagination s'efface.
Jean SCHUSTER
L'érotisme est une préoccupation qui m'est chère, et j'ai certainement appliqué ce goût ou cet amour à mon grand verre. En fait, je pensais que la seule excuse pour faire quoi que ce soit, c'est de lui donner la vie de l'érotisme, qui est totalement proche de la vie en général, et cela, plus que la philosophie ou tout ce qui lui ressemble. C'est une chose animale, qui possède de si nombreuses facettes qu'il est plaisant de s'en servir comme d'un tube de peinture, pour ainsi parler, et de l'injecter dans vos productions. C'est cela, la « mise à nu ». Je veux dire qu'elle avait même une connexion perverse avec le Christ. Vous savez que le Christ fut « mis à nu », et c'était une perverse manière de présenter l'un à l'autre l'érotisme et la religion. »
(Interview de Marcel DUCHAMP, à la B B.C. Vendredi 13 novembre 1959.)
Dans le même sac
Nous ne nous doutions guère que de 1926 à 1953, Max Ernst n'avait pris au mouvement surréaliste qu'une part dérisoire et réticente. Grâce aux révélations du gardien-chef des Louvres passés et futurs, nous savons que ce long martyre silencieux a pris fin. En entrant dans la « féalité » gaulliste, l'auteur d'Une Semaine de Bonté (*) voit s'ouvrir devant lui les grandes portes de l'Institut, des décors à brosser pour concerts de musiques militaires, qui sait? des églises « d'avant-garde », bref de tout ce classicisme dont l'amour, trente ans durant, inspira en secret sa révolte. Les voies de la « métamorphose des dieux » sont décidément impénétrables. Sacré Max, va!
Toutes les audaces artistiques étant permises au régime, on ne s'étonnera pas davantage que l'ex-farouche trotskyste Jean-Louis Barrault, qui se retrouve conseiller municipal bon teint, redonne un nouveau lustre au blason quelque peu écaillé de M. André Masson. Il ne peut toutefois lui confier encore que les maquettes de *Tête d'Or*. Que le signataire de certaine « Lettre ouverte à Paul Claudel » se console de cette portion congrue. Tout le monde n'a pas la ressource de se faire naturaliser français.
G. L.
(*) « Elément: La Boue. Exemple: Le Lion de Belfort. » Sur la naturalisation de Marx Ernst, obtenue « grâce à Michel Debré, alors sénateur d'Indre-et-Loire », cf. France-Soir, 9 août 1959.
Le zèbre précurseur
S'il y a un si grand nombre d'accidents de la circulation, c'est que les automobilistes sont distraits par les vaches et les moutons paissant nus dans les prairies, estime M. Clifford Prout, un Américain, jeune directeur de la S.I.N.A. (Société contre l'indécence des animaux nus). « A l'âge de pierre, l'homme vivait pratiquement nu ; depuis les temps modernes, il s'habille décemment. Aucune raison pour que les animaux ne suivent pas la même évolution » — déclare-t-il, et d'autant plus « que la nudité des ammaux exerce une mauvaise influence sur les enfants ». Ses suggestions : des shorts pour les chiens et les chevaux, des couches pour les chats, des manteaux pour les vaches (1). La nouvelle réjouira, je l'espère, les zooérastes. Si l'on accepte ces propositions, la haute couture se chargera des collections originales et l'on ne tardera pas à créer des sous-vêtements et des accessoires exquis qui rendront nos chers animaux domestiques encore plus attrayants.
Je n'y vois pas d'inconvénient, d'ailleurs, et la vue d'une vraie vache en vison ne saurait me déplaire. Ce que je reproche à cet Américain, c'est qu'il s'attaque aux problèmes secondaires. Il oublie, d'abord, les innombrables accidents provoqués par les conductrices qui ont été distraites par les clochers d'églises. Vite donc des slips pour les clochers ! Et puis, il est indécent d'exhiber les fusées devant les yeux des enfants : j'exige qu'on habille les astronefs en camisoles. Enfin, la lutte contre l'indécence ne suffit pas: elle doit aller de pair avec l'étalage de la décence et de ses symboles vivants : je propose donc que tous les souverains, rois, présidents, maréchaux, rесteurs, papes, se montrent toujours nus en public.
Radovan IVSIC.
(1) Le Journal du Dimanche, 28 août 1959.
Roseaux plus hauts qu'un homme
« On ne rêve que lorsqu'on dort. » Cette sentence de Lautréamont demande peut-être à être prise aussi comme une règle méthodologique. Lorsque Freud, non sans quelque embarras, s'efforçait de mettre en parallèle l'activité nocturne du « mental » et les psycho-névroses, encore pouvait-il s'appuyer sur d'impératives nécessités de défi à l'égard d'une civilisation trop súre d'elle-même. Sa tentative vérifiait, au fond, l'assertion paradoxale selon laquelle la vie est « un acte passionné, une poussée de fièvre de l'esprit » (Novalis). Mais, dans le légitime souci de chercher des équivalents diurnes du rêve, — au sens médical, comme on parle des « équivalents psychiques » de l'épilepsie, — il étendit le champ de ses investigations jusqu'à la rêverie. Et l'on a vu certains de ses successeurs, moins géniaux et condamnés dès lors à partager dans une audace toute verbale, assimiler purement et simplement au rêve l'art naif, l'activité ludique infantile, que sais-je enfin ? multiplier la confusion toujours menaçante dans ce domaine.
Telle ou telle défaillance du sens dialectique ne saurait, hâtons- nous de le dire, diminuer en rien l'apport décisif et illimité de Freud à la connaissance en profondeur de l'homme. Il n'en reste pas moins qu'il a lui-même fait valoir que nous rêvons pour continuer à dormir. Mais puisque nous n'avons « connaissance » du sommeil que si nous rêvons, - un sommeil qui nous paraît n'avoir duré qu'un instant est un sommeil sans rêve, — nous rêvons afin de continuer à rêver. Cette spécificité de l'onirisme fait scandale. Pour jeter une passerelle entre lui et l'activité psychique du plein jour, ce n'est pas trop d'abord de l'approfondissement de leur antinomie.
(Parenthèse : Le véritable analogue diurne du rêve, ce n'est pas la rêverie, c'est le mythe, dans la signification spécialisée du terme. Même gestation obscure; même foudroyante soudaineté dans la concrétisation mémorable; même possibilité d'enregistrement sous forme d'un récit nu, — ici immédiat, là obtenu en général par réduction d'éléments enjoliveurs, — mais qui dans les deux cas fait appel au rôle catalyseur d'une sorte de cabale phonétique que la psychologie comme la linguistique scolaire s'obstinent à bouder. Nul besoin ici d'évoquer les vaticinateurs du type G.-C. Jung, puisque voici cinquante ans que Karl Abraham esquissait l'équation entre le mythe, issu du stock d'impressions virtuellement communes, et non collectives, du « peuple », et le rêve : Der Traum ist der Mythus des Individuums.) Toute reconnaissance est donc dûe aux chercheurs qui accumulent des matériaux pour une étude objective du rêve dans les contextes sociaux qui nous sont le moins familiers: cultures « primitives », cultures disparues. La résistance acharnée qu'oppose la Sorbonne à l'enseignement freudien, et la « mise en condition » du public par des adaptations mensongères d'ouvrages d'ethnologie ou de psychologie sexuelle (1) nous exposent malheureusement à ne connaître que de loin ces recherches et leurs résultats. Félicitons-nous, avec la récente traduction d'un ouvrage de M. Léo Oppenheim (2), d'avoir au contraire un outil indispensable, à la fois élégant et précis, pour l'élucidation d'un point capital : le rôle de l'onirisme dans cette antiquité mésopotamienne ou fermentèrent tous les germes de la pensée « occidentale ».
L'auteur, ici, n'est pas psychanalyste. Il reconnaît la parenté étroite entre les procédés, sinon les buts, des anciens interprètes et des analystes modernes. Déjà, dans la décadence grecque, Artémidore d'Ephèse insistait sur la nécessité de « diviser les rêves selon leurs différentes phases, de juger chacune de ces phases à part et de dégager du tout la signification du songe ». Mais M. Oppenheim rend hommage à la doctrine freudienne. Ses scrupules à l'utiliser sont honorables : « Nous sommes incapables de saisir les associations d'idées qui ont conféré à certains symboles. actes ou gestes symboliques, une valeur favorable ou défavorable. » Cette modestie nous épargne les archétypes maniés par tant d'autres avec une désinvolture qui ne cache que la misère intellectuelle. Observant toutefois que la censure sociale, dans les documents assyro-chaldéens qui nous sont parvenus, relègue parmi les mauvais rêves (évoqués parfois, jamais racontés) tous ceux qui ont trait à la vie sexuelle, l'auteur eût pu commenter le fait qu'avoir en songe des relations « avec sa propre mère, avec sa mère morte », ait été en Mésopotamie un présage néfaste. Il n'est pas difficile non plus de répondre à telle question qui lui semble insoluble: « Pourquoi le dieu-pilier est-il le dieu des rêves ? ».
Certains récits détaillés, fort beaux malgré leur obscurité, semblent appeler une analyse qui ne soit pas seulement augurale, Rappelons comme seul exemple que Géza Roheim a pu élucider le rêve d'initiation d'un sorcier australien, rêve qui associait la Voie Lactée à la subincision rituelle du pénis. Dans le cadre où M. Oppenheim s'est volontairement limité, il se rencontre pourtant avec Freud sur un point capital : la vanité absolue des « prédictions » lues dans le rêve. Succédant, dit-il, à une phase théolo- gique où le songe était directement émané de la divinité, et à la phase « métaphysique » grecque où le rêveur, affranchi du temps et de l'espace, pénétrait librement au royaume des « Idées » platoniciennes, la psychanalyse aura démontré que le « contenu du rêve traduit (...) le passé plutôt que l'avenir ». Cette fin de non-recevoir est la conclusion même de Freud : « Le rêve nous mène dans l'avenir, puisqu'il nous montre nos désirs ; mais cet avenir, présent pour le rêveur, est modelé, par le désir indestructible, à l'image du passé ».
Pourtant il s'en faut que les Anciens aient ignoré la valeur purement psychologique du rêve. Une tablette de Babylone dit : « Si un homme ne peut se rappeler le rêve qu'il a vu, (cela signifie que) son dieu personnel est irrité contre lui ». L'idée d'auto-censure est ici présentée sous un aspect dramatique. Pareillement Artémidore d'Ephèse enseigne : « Tu sauras que les songes néfastes n'amènent que des maux négligeables si l'âme de songeur n'en a pas été affectée et que les songes avantageux, seront d'effet
songes avantageux, seront d'effet à peu près nul, si l'âme du songeur n'en a pas ressenti une très grande joie » (3). Inversement, sans même céder à un possible instinct divinatoire, ne peut-on se demander si le « désir indestructible » n'offre toujours que des duplicata du passé? Il est à son tour modelé par l'imagination, dont nous ne savons rien, excepté qu'il n'y a assurément pas à la tenir pour un résidu de la mémoire. L'avenir et le passé se commandent et se meurtrissent mutuellement. Si nous pouvions au sein du rêve saisir un instant où ces duellistes infatigables s'entretuent, le récit de ce rêve, sans pour autant échapper à l'investigation freudienne, pourrait nous en apprendre un peu sur nos moyens d'existence future, prophétiser à voix très basse... Il est vrai qu'alors ce ne serait plus une prophétie.
Gérard LEGRAND.
(1) Cf. les digests « archéologiques » de C.-W. Ceram, ou les in- qualifiables annotations de Gennep sur les Etudes d'Havelock Ellis qu'il traduisit.
(2) Le Rêve et son interprétation dans le Proche-Orient ancien, édit. Horizons de France, Paris, 1959.
(3) La Clé des Songes, éditions Arcanes, Paris, 1953. (La préface que j'ai donnée à cette réédition ne répond plus exactement à ma pensée)
De longue mémoire
On ne devrait écrire que pour s'initier à donner le Diagnostic, à oser un jour le Prognostic en deçà desquels chaque mot est un échec, quoiqu'on fasse. On veut commencer par fabriquer un baromètre du faste et du néfaste alors que c'est par là qu'il faudrait finir. Depuis bientôt cinq ans, d'échec en échec, je tente de parvenir en ce lieu d'émerveillement par où je me serai absolument incompréhensible.
Dans la nuit du 16 au 17 septembre je cherche à distendre l'espace qui sépare l'état de veille du sommeil, espace que je franchis, presque chaque nuit, sans m'en rendre compte. Il me faut attraper le bac des mots entendus et des choses vués. Un grand nombre d'idées et d'images se pressent sur l'avant-scène et je n'ignore pas que le rideau ne se lèvera qu'au prix de leur disparition, qu'au prix d'en passer par le court instant ou l'on ne perçoit plus rien, ou sur les parois lisses de la nuit l'esprit cherche une prise.
Mais la volonté de ne penser à rien trace à elle seule un sillage de pensée dont je ne parviens pas à me départir et à laquelle vient s'ajouter la conscience que je prends, par brève lueur, de son inutilité. Je décide donc de me laisser faire. Voici ce qui revient à plusieurs reprises et dure : mon ami Gérard Legrand fait face à deux jeunes hommes strictement identiques, impeccablement vêtus, dans lesquels je reconnais, dédoublé, le personnage central des expériences de demi-sommeil auxquelles je me livrai il y a quelques années et que j'ai depuis lors dénommé le « speaker ». Je perçois la scène de profil; « il » ou « ils » ne me dévoilent que leurs bustes liés par l'épaule comme le seraient des frères siamois. G. L. leur déclare: « Vous pensez comme des horloges. » (1) Les représentations visuelles cessent, mais tout ce que j'entends, je l'entends avec la voix de G. L., dont je suis à la fois maître et prisonnier car si je peux lui faire dire ce que je veux je ne puis empêcher chacun de mes mots de revêtir son timbre particulier avec lequel je prends note de ceci. Je cherche en vain à rompre ce mécanisme d'envoûtement. La voix de Van Hecke perce, cependant, à deux reprises dans une phrase dont tous les autres mots étaient prononcés par G.L. « Insaisissable »; ce dernier mot tout particulièrement noté avec l'accent et le ton de G. L.). Puis, sans que je le veuille, apparaît une femme, secrétaire dans l'entreprise où je travaille. Elle est debout dans une pièce vide et s'adressant à quelqu'un que je ne vois pas, elle lui dit : « C'est tout de même bizarre, avouez-le. » Je suis pris soudain de vibrations accélérées; j'ouvre les yeux, la chambre oscille rapidement de gauche à droite. J'ai déjà éprouvé ce phénomène désagréable dans des circonstances analogues sans toutefois être à même de vérifier si, comme j'en ai la sensation, je tremble réellement de tout mon corps. Je me tourne sur le côté. Voix de mon père, dont je ne me débarrasse qu'après un certain effort de surdité. Voix que je situe mal, entendues peut-être dans la rue ou dans le métro, à l'exception de celle d'une femme que je connais mais que je n'ai pas revue depuis plus d'un an. il semble que je note avec ma propre voix intérieure. Je sais que je peux évoquer maintenant qui bon me semble. Co qui m'étonne le plus c'est qu'à la veulerie, à la lácheté habituelle de ma mémoire s'est substituée une forme de souvenir que je qualifierai d'imaginaire, tant ceux que j'évoque y apparaissent avec netteté, dans des situations inventées, où ils évoluent avec une vraisemblance que seul leur confère le processus d'identification à l'intérieur duquel je les tiens, à l'intérieur duquel ils me tiennent. Je décide de faire parler mes amis et d'écrire sans chercher à élucider le sens de leurs paroles, ce à quoi je ne parviens que très imparfaitement, comme en témoignent les points de suspension qui interrompent immanquablement leurs voix lorsque je cherche, malgré moi, à me rendre compte de ce qu'elles disent: « Il n'en reste pas moins vrai que les lumières que l'on voit et que l'on perd avec le train qui passe... » (G. L.) « Voilà qu'ils se èvent, c'est trop fort et puis tant pis puisqu'elle est morte et que ses lèvres... » (André Breton). « De toute manière... de toute maniè- re... de toute manière, de toute façon vous ne devez plus me voir attendez je vais vous faire voir quelque chose » (Robert Bena- youn). « Chose » tandis que le l'écris est repris par la voix de A. B. « Ce n'est pas possible ce n'est pas que ce n'est plus possible c'est impossible si possible » (Alain Joubert). Puis, alors, que toutes ces phrases je les ai entendues sans voir ceux qui les prononcent, Jehan Mayoux apparait brusquement, il est assis à une table de café et, pointant un doigt vers moi (je ne me vois pas, mais je sais que c'est à moi qu'il s'adresse), il me déclare: « La veille au café tu m'as dit c'est une femme dangereuse »...
Je me réveille au milieu de la nuit, je tiens encore à la main le bloc sur lequel j'écrivais quelques heures plus tôt. Le crayon a depuis longtemps roulé au bas du lit.
Jean-Claude Silbermann
D'une lettre à André Breton
Saint-Michel, le Mardi 27 Octobre 1959.
Monsieur,
...C'est peut-être chez moi une obsession, mais de plus en plus je suis persuadé que la poésie jaillit non tant des livres que des phosphorites du Quercy, des cristaux de calcite, des torsions de lave dans les cratères égueulés des Puys de la Vache et de Lassolas. Avez-vous vu les macles de l'orthose ? Voilà l'Androgyne initial. Comme on dit d'une Arabie légendaire, je rêve de découvrir, de réaliser une « poésie heureuse, poésie pétrée ». L'attribution des Prix Nobel a remis en lumière la découverte de l'anti-matière. N'y a-t-il point là mythe nouveau ? S'il existe des cosmos « négatifs » et si l'un d'entre eux vient à nous rencontrer: abolition, néant. Tout simplement ; comme deux bulles qui se heurtent. Point besoin de ces histoires de cataclysmes, de visiteur d'autres mondes, de collisions d'astres, d'explosions nu- cléaires, point besoin de tels aliments à imaginations. La vraie réalité est plus simple, plus envoûtante. Votre hypothèse des Grands Transparents m'avait séduit. Mais elle apparait aujourd'hui, si j'ose ainsi m'exprimer, timide. Apparaître comme commensaux, esclaves inconscients d'êtres très supérieurs susceptibles de se manifester un jour pour nous apprendre humilité et ruine définitive de l'anthropocentrisme est certes important ; mais savoir qu'à n'importe quel instant, par inadvertance un Univers affecté du signe moins risque de nous abolir est bien plus grave. Répandre cette vérité, alimenter une Grande Peur salutaire, créer de magnifiques paniques style An 1000, servirait, à mon humble avis, à ruiner à jamais la logique des foules. Répéter (méthode Coué servie à autrui) inlassablement autour de soi, non plus « Frère, il faut mourir », mais « Frère, ton frère est là qui te tend la main et t'invite à le suivre ». C'est bien mieux, avouons, que l'enfer de Don Juan. « La porte va s'ouvrir et il n'y aura plus de porte. Un froid noir ? il n'y aura plus de froid ». Je suis au moins sûr de ne pas avoir à franchir tête haute un tel seuil car l'autre viendra vers moi souriant : Fin de frères. Le : « Qui est là? Ah! bon! faites entrer l'infini », d'Aragon, n'a point d'autre justification.
Jean-Pierre LASSALLE.
Urbanisme
Concevons le plan des villes futures. Un électro-aimant de puissance géante est placé au cœur de la cité (au lieu de telle église). Les maisons font reposer leur base d'acier sur une plaque de même métal, qui s'étend sur la surface de toute la ville, et qui évoque le plancher auto-tamponneuses. Ainsi l'électro-aimant élargit, à son gré, ou rétrécit les rues, ménages de vastes places, crée des amas de maisons comme on n'en voit plus que dans les vieux quartiers. On peut régler aussi de cette manière le problème de la circulation.
Pierre DHAINAUT.
Entre la révolte et un espoir
Toute révolte se traduit sur le plan physiologique par une exaspération, immédiatement suivie d'une très grande exaltation. De même, sur le plan intellectuel, la révolte après une première phase négative: le dégoût du monde existant, laisse place à l'espoir en la reconstruction du monde d'après de nouvelles valeurs.
Mais il me parait difficile - chez moi du moins - de séparer ces deux états intimement liés, car les instants de révolte sont les ins- tants de plus haute effervescence spirituelle. Dans de tels moments l'homme se tient à l'avant du na- vire, à la seule position où, l'ail vif, il est ivre de sentir l'écume des vagues sur le visage. Un « mal de jeunesse », dit-on, cette attitude ? Alors vive la jeunesse, puisse-t-elle durer éternellement et notre esprit ne jamais se pourrir au contact de la vie, des compromissions et du laminage systématique de la pensée.
Quand je dis espoir, j'entends ce besoin de liberté et d'amour seul capable de me faire vibrer à grande amplitude et aux sources duquel ma pensée trouvera toujours la pureté. Pour justifier cet espoir la conscience suffit. Cette conscience il convient naturellement d'en faire un brisant escarpé où se maintenir est périlleux. Mais aussi je demeure persuadé que ce ferment de liberté. quelle que soit l'oppression morale et physique subie, existera de tous temps au cœur d'un certain nombre d'hommes. Ce n'est pas une de mes moindres raisons d'espérer.
René GARDIES.
Vivant parmi nous
Les obsèques de Benjamin Péret ont eu lieu le 24 septembre au cimetière des Batignolles. Etaient présents : René Alleau, Robert et Monique Antelme, Jacques Audiberti, Adolphe Aynaud, Charles F. Baron, Jacques Baron, Jean-Marie Bassot, Denise Bellon, Robert Benayoun, Pedro Blanco, Roger Blin, Arsène Bonafous-Murat, André et Elisa Breton, Camille Bryen, Robert Caby, Eugène Canseliet, Augustin Cardenas, Michel Carrouges, Louis Chavance, Marta Collin, Michel et Simone Collinet, Adrien Dax, Myriam et Yves Dechézelles, Pierre Demarne, Géo Dupin, Jean-Pierre et Jacqueline Annie Duthil, Yves et Aube Elléouët, Nicole Espagnol, Léo et Madeleine Ferré, Yolande Fièvre, Elie-Charles Flamand, Edmond Fontaine, Pierre Frank, M. Gallienne, Marthe et Maurice Garreau-Dombasle, Colette Garrigues, R. Gauthier-Gatilies, Annie et Alain Gheerbrant, Georges Goldfayn, Claude Gregory, Teresa Gracia, Julien Gracq, Ionis Gros, Lyka Guerpillon, Iliazd, Eduardo Itabirra, Radovan et Marianne Ivsic, Edouard et Simone Jaguer, Louis Janover, Slavko Kopac, Alain Joubert, Henri Kréa, Krizek, Jacqueline Lamba, Jean-Jacques Lebel, Robert et Nina Lebel, Claude Lefort, Gérard et Clarisse Legrand, André Lejard, Lancelot Lengyel, Jean-Jacques Lévèque, Edouard Loeb, Pierre Loeb, Alain Lombard, Eric Losfeld, Gherasim Luca, Joyce Mansour, Mohammed Maroc, Dionys Mascolo, G. Mauricio, Jehan Mayoux, E.L.T. Mesens, Edgar Morin, G. Munis, Pierre et Denise Naville, Maurice Noël, Meret Oppenheim, Jean Palou, Octavio Paz, José Pierre, Marie-Thérèse Pinto, Maurice Pons, Manou Pouderoux, Jacques Prévert, Raymond Queneau, Charles Ratton, Jean-François Revel, C. Ricard, Gérard Rosenthal, Bernard Koger, Jean Koger, A. Sabatier, Jacques et Sophie Sautes, Georges et Brigitte Schéhadé, Jean Schuster, Jean-Claude et Marie-José Silbermann, H. Sisser, Philippe Soupault, Alice Tail, Jean-Claude Tertrais, Tessereau, Lucienne Talheimer, Paule Thévenin, Toyen, Roger et Missae Van Hecke, Marianne Van Hirtum, Vega, Jean Vigne.
Ont écrit pour exprimer leur regret : Jean Arp, Guy Béatrice, Jean-Louis et Anne Bédouin, Jean et Mimi Benoît, André Berne- Joffroy, Edmond Bomsel, Geneviève Bonnefoy, Alain Bosquet, Pierre Boujut, André Bourdil, Jean Bréjoux, Jean Debrix, Lise Deharme, Pierre Dhainaut, Marc Eigeldinger, Louis Fernandez, André Hardellet, Maurice Henry, Robert Lagarde, Jean-Pierre Lassalle, André Liberati, Jean Malrieu, Pierre de Massot, André et Bona Pieyre de Mandiargues, Francis Ponge, Arthur Schwarz, Marguerite Taos, Bernard Tráfois, Nanos Valauritis, Patrick Waldberg (et quelques autres, dont nous nous excusons de n'avoir pu déchiffrer la signature). Dans la presse, signalons les articles d'Alain Bosquet (Combat), d'Alain Jouffroy (Arts), de Marcel Fourrier (Libération), de Jean Mazars (Le Figaro Littéraire) et de Maurice Nadeau (France-Observateur).
« ... puisque tout est à recommencer tous les jours... » (La parole est à Péret)
Un grondement dans les forêts
« Nous crachons sur cette religion de vieilles femmes; sur la ridicule notion de patrie; sur l'armée, dernière idiotie inventée par notre bourgeoisie nationale, non-sens en cinq lettres, cuve pour homosexuels; sur la famille, construite à la manière lapinière. » Ceux qui parlent ainsi sont les rédacteurs de la Tribune du Clan des Jeunes, publiée au Luxembourg. Il semble qu'un écho physiquement rugueux, de l'Ardenne aux chemins perdus, aux ravines peuplées de gibier farouche, passe dans leur révolte. " Gare aux épiciers! » Le haut standing de vie, le Marché Commun, cessent d'être des panacées pour ces cantons longtemps somnolents. A la différence de tels autres, la colère de ces jeunes ne s'arrête pas au seuil d'un palais dynastique (genre Buckingham): « Pour nous, l'ordre qui n'est qu'un désordre imposé, qui n'est que l'injustice ordonnée, la Grande Duchesse et ses six enfants (...) sont des institutions vides et détestables ». Ajoutons qu'une publication bilingue parallèle, Voix, s'attaque sans l'ombre d'une concession aux survivances « européennes » de l'hitlérisme, que les Efudiants luxembourgeois sont bien placés pour déceler jusque chez leurs voisins d'Heidelberg.