MÉLUSINE

titre de la revue Bief

Bief n°2, 15 décembre 1958

P.2

Les questions du mois

  • Quelles transformations pouvez-vous instantanément envisager pour un rocher ?
  • Êtes-vous prêts à faciliter l'évasion d'un détenu de droit commun quoi qu'il ait fait ?
  • On déplore que les vitrines de Noël offrent aux enfants des déguisements militaires et des panoplies. Quel genre d'influence pensez-vous que puissent avoir sur les mêmes enfants, les vitrines d'un grand magasin entièrement placées sous le signe des "spoutnik" et de la navigation interplanétaire ?

Celui qui murmurait dans les ténèbres

Il ne suffisait pas que l'œil électronique, s'introduisant dans les grands magasins, dans les pénitenciers, dans les alcôves, remplaçât le flic dans la capture des pickpockets, dans la surveillance des convicts, dans le constat de l'adultère. Il ne suffisait pas que les psychiâtres, enrôlés depuis dix ans dans la Recherche dite motivationnelle, dotassent les grandes entreprises d'une entrée dérobée sur le subconscient, et participassent allégrement au viol des masses par le conditionnement freudien du geste d'achat. La séduction mentale, forme fonctionnelle s'il en est du lavage de cerveau exigeait un front plus direct. Elle le possède dès à présent. Cela s'appelle la Perception Subliminale, cela existe depuis septembre 57, et c'est absolument incontrôlable.

Un film se déroulant à vingt-quatre images par seconde, n'est doté de mouvement que par le phénomène connu de la persistance rétinienne. Si une seule image est enregistrée par notre cerveau pendant un vingt-cinquième de seconde, nous ne la verrons pratiquement pas, mais nous l'accepterons subconsciemment. Sur cette base très simple un psychologue américain, James Vicary, a eu l'idée de projeter dans une salle de cinéma, entre les images du film programmé quelques slogans très simples comme Buvez Coca-Cola ou Mangez du pop corn pendant 1/3.000me de seconde toutes les cinq secondes. Pendant les six semaines que dura l'expérience, la vente des deux produits augmenta de 57 pour cent.

L'indignation soulevée par ce procédé, dès que son usage en fut connu, fit croire que le Congrès l'interdirait. Les ligues de tempérance craignirent un moment qu'une campagne invisible pour l'alcoolisme n'entamât la santé de la nation. Les politiciens frémirent à la pensée qu'une publicité électorale, au niveau subconscient pourrait bien quelque jour amener une guerre civile. Hélas! les grandes peurs ne durent jamais longtemps, outre-Atlantique. La pratique de ce qu'on nomme déjà la persuasion clandestine étant invérifiable (quels cinémas, quelle chaîne, quelle émission surveiller entre toutes ? Comment traquer l'image intruse ?), devint pure querelle de principe. L'Etat fut vite amadoué par les stations de T.V. qui en service « public », diffusèrent des slogans comme Combattez la polyomyélite, ou Conduisez prudemment. La B.B.C. de Londres, à deux reprises, émit des phrases-témoin. Et deux films furent tournés à Hollywood, dont le déroulement ponctué de mots-clés comme sang, terreur, d'images subliminales de squelettes, ou de poignards, créait une épouvante d'autant plus monnayable qu'inexplicable pour le public comblé.

Ainsi, une gamme nouvelle de sensations s'offre à nos pétrisseurs de la pensée. On nous dit, par exemple, que l'amour maternel peut être évoqué par l'image invisible d'un bébé (et bouleverser, sans doute, la vie sexuelle d'un couple sans enfant), que le mot bonheur procure l'euphorie, le mot colère, une tension nerveuse, augmentée de sueurs froides, d'essouflement, tout cela sur commande, sans possibilité de résistance individuelle, et dans l'impunité la plus insolente. Des milliers de personnes, interrogées par l'enquêteur lui confient leur surprise : « Je ne sais pas pourquoi, moi qui ne bois pas de café, je me suis précipitée ce soir-là pour en acheter, puis en boire tasse après tasse. » Déjà explore-t-on le son subliminal, qui se perçoit au-dessous du niveau de l'ouïe, et qui ôtera même aux aveugles la possibilité d'acheter l'alcool de leur choix, où leur marque favorite de canne blanche.

Nous savions que la décade actuelle érige en dieu le mépris absolu de l'homme, et que 1955 anticipe plus qu'on ne l'imagine, sur « 1984 ». Mais l'annonce par les technocrates d'une ère des loisirs où domineront grâce à l'automation les industries récréatives nous en dit long sur les aspirations des futures générations en une liberté que Big Brother, à mi-voix, lui dépeindra dans son langage ultra-perfide. Qu'au moins ceux qui confient leur culture, et leur délassement à ces impostures inqualifiables, radio, télévision, le fassent à leur risque et péril. L'image subliminale de leur destin s'inscrit déjà sur leurs écrans, la voix subliminale s'insinue en eux : est-ce celle de De Gaulle ?

Robert BENAYOUN.

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L'Hymne au Grand Parapluie

J'aurai la mort que j'ai voulue avec ses dentelles de fer jaune et ses crics de paille — elle m'entendra dans la vallée de tulle lorsque la seule tendresse du jour aura fait son apparition de serpent doré qui luit quelques instants au son de la cloche de cinq heures - alors que l'oiseau magique surmonté d'une houppelande de révolte aura fait son sonnet de perles avec des mots de crécelle mouillée sous le vent — le soleil ne brillera point pour attester ma minceur de son ombre — allez mes bons chevaux - hissez-moi sur vos épaules de granit, enchaînez mes poignets déjà refroidis : la forêt s'ouvre comme une botte de haricots rouges au crépuscule et le ruisseau de fort vin bleu m'attend — le silence ouvre ses portes, pour une fois elles sont liquides entourées des gueules de la nuit et le dernier sanglier blanc à qui je ferais peur tourne le dos - que les chercheurs s'éloignent : ce n'est pas un corps de jeune garçon que je laisserai : la tête dans le ruisseau et les pieds de nacres vermeils en forme de grand parapluie.

Marianne van HIRTUM.

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Rectif

Deux fâcheuses erreurs matérielles déparent le n° 4 du Surréalisme même. La statue reproduite page 38 sous le titre « Eros grec » est, en réalité, une œuvre gauloise, heureusement bien connue et décrite comme « Dieu assis dans la pose bouddhique » (tr. à Roquepertuse, en 1870. III-IIe siècle. Actuellement Musée Borély, Marseille). Plus loin, le nom de Hans Baldung Grien a été travesti en « Gorien ». Nous nous excusons auprès de nos amis.

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Irréductibles aimés du soleil

Les faucilles du quetzal, si follement longues, si diaprées que l'oiseau creusant son nid, puisqu'il n'est pas question qu'il s'y retourne, est contraint de le faire déboucher, dans les reflets qui en étaient rassemblés rue du Dragon (1), avaient été entourées du luxe et de tout le soin convenables en ces consécrations. Les chatoiements, en vitrine, s'évadaient de leurs origines. Peut-être était-il demandé qu'ils soient appréhendés sur le plan l'art, mais cette sorte d'attention n'était pas nécessairement pour s'étendre jusqu'aux derniers Indiens échappés au jeu de massacre. L'humanisme qui au mieux préside à des tentatives pourtant trop rares, inévitablement place les œuvres dans des postures à l'antique, suggérant que leurs auteurs, soustraits aux vicissitudes historiques, bénéficient de l'éternité des musées. On imagine assez bien le secours que le pharisaïsme colonialiste trouve dans les galeries d'art primitif.
Sous l'appellation péjorative de Séminoles: détestés du soleil, qu'ils avaient eux-mêmes anciennement infligée aux esclaves noirs, et qui leur fut dans la suite appliquée par les blancs d'Amérique, les derniers Miccosukee, dont le territoire s'étendait sur le golfe du Mexique jusqu'au Mississipi, réclament aujourd'hui pleine jouissance de leurs terres de Floride dont ils n'occupent que l'infime parcelle où l'administration américaine les a parqués. Levant le masque d'une noble idéologie, la fraude, la duplicité, l'agression, l'hypocrisie, dont ils accusent les Etats-Unis dans le seul cas où ceux-ci pouvaient pratiquer leur doctrine : la liberté, l'indépendance, le droit des minorités, la sainteté des traités, ne trouvent aucune compensation dans l'enceinte d'un musée, ou par surcroît il ne pourrait s'agir que de curiosités, pièces archéologiques, objets primitifs, tandis qu'il s'agit aujourd'hui de sortir de la terre de l'ombre (2), et d'accéder pour la pêche et la chasse en pays d'herbe et d'eau. Si les multiples vexations dont ils sont l'objet depuis 1950 ont pour prétexte essentiel les installations du Cap Canaveral, on appréciera que les Miccosukee songent à reprendre le sentier de la guerre, et que pour s'adresser à ce qu'on appelle aujourd'hui des chefs d'Etat, ils n'aient rien rabattu de ce qu'ils se doivent, qu'ils ne se soient départis ni de leur dignité de nation non conquise, dont ni du cérémonial ils usaient quand ils avaient affaire à des hommes. Devant certaine majesté, c'est ainsi qu'ils évoquent l'aide appréciable qu'ils lui apportèrent quand certains de ses sujets se révoltèrent en 1776, et constituèrent, au Nord, ce qu'ils ont appelé les Etats-Unis. Sa Majesté, cependant, médite sur le cas de M. Harvey. De son côté, M. Coty, prêt à reconnaître l'intégralité des droits des Miccosukee sur la Floride, et à donner tout son appui aux minorités ethniques, a fait faire une réponse aussi courtoise qu'il était possible : à notre connaissance elle n'a été publiée ni en France ni Afrique du Nord.

Vincent BOUNOURE


(1) L'art indien aux Etats-Unis. Exposition du Centre culturel américain.
(2) Ou terre de l'éternelle nuit, serve des Miccosukee des Everglades.

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Si le cuivre s'éveille clairon

En dépit de l'avertissement de Rimbaud, quelle fortune connaît encore de nos jours le slogan de la « poésie - moyen d'expression », à l'usage du dernier venu des poètes-messies.
A croire que la grappe, par impossible, s'offre d'elle-même au pressoir. N'ayant jamais eu le goût de si pauvre vin, quand même serait-il versé dans de nouvelles outres, nous croyons que la poésie doit faire le poète, non l'inverse. Devant elle, devant la parole qui parle d'elle-même, il ne saurait y avoir de petits « moi » qui tiennent. L'onde poétique, qui se propage, qui assaille, qui ravit — tout est là. Vous pouvez, vous ne pouvez être au mieux — et de la modestie! — que l'émetteur ou le récepteur du message. Emetteur, vous ne serez toujours que l'instrument d'une émission dont le sens vous dépasse. Récepteur, vous ne saurez jamais d'où vient une passion qui, parmi tant de proies, vous fait capter la seule — ou les seules — qui vous captivent. Je tenais ce secret pour celui de l'amour : la lecture de « Marelles sur le Parvis », de Gabriel Bounoure m'en apporte le rayonnement à travers l'expérience d'un homme qui n'est pas seulement familier des poètes (de Hugo aux surréalistes), mais qui est possédé de la même vérité. De lui à nous, à eux, les grandes ondes passent, crépitent, dévorent les apparences et nous restituent la pureté des signes qui creent autant qu'ils sont créées, Gabriel Bounoure, poète.

J.-L. BEDOUIN.

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Vestiges et vertiges, J. Pearon et le hasard

Aux jours d'ennui ou de spleen, il nous arrive souvent, pour nous distraire, d'aller feuilleter quelque ancien livre sous les frondaisons en trompe-l'œil de la grande salle des Imprimés, rue de Richelieu, C'est ainsi que nous fîmes connaissance, il y a peu, avec un artiste obscur mais fort singulier, grâce à une brochure intitulée Le Hasard, extraite de La France artistique de 1869. Amédée de Ponthieu, l'auteur plaisamment suranné de Légendes du vieux Paris, ce livre trop oublié à notre sens, nous décrit dans cet opuscule la méthode employée par un peintre du nom de Péaron pour obtenir des « tableaux instantanés » au cours de soirées chez MM. Camille Flammarion et Paul Verlaine, entre autres. « Voulez-vous composer un dessin à la plume? Prenez une feuille de papier assez grenue ; jetez à tort et à travers des coups de fusain, et avec le chiffon, tamponnez de manière à imiter des nuages, puis regardez, cherchez, tournez et retournez le papier de toutes les manières. Vous voyez toutes sortes de choses qui ont l'air de vouloir faire des tableaux. Si l'ensemble n'est pas suffisant, si le résultat n'est pas satisfaisant, reprenez le fusain et le chiffon et continuez l'opération. Enfin, à force de chercher, vous finissez par apercevoir les éléments d'un tableau que le hasard vous offre à l'état d'ébauche : des masses d'ombre, des contours à moitié faits que vous terminez en donnant ça et là quelques coups de plume : une jambe d'un côté, une tête de l'autre, un arbre ailleurs ; le tout se complète, s'enchaîne, se coordonne, l'inconnu a dicté le sujet, inspiré l'artiste...» Et notre auteur de commenter lyriquement : « Avec un collaborateur aussi actif [le hasard] on va vite ; des tableaux s'improvisent d'un grandiose et d'une originalité dont on sera stupéfait... Il se dégage du sein de ce chaos quelque chose d'étrange et de fantastique qui vient prendre sa place dans le tableau : l'imagination est en feu : on cherche toujours à découvrir de nouvelles apparitions : c'est le rendez-vous des silhouettes extraordinaires, étranges que fait et défait chaque coup d'estompe ou de pinceau... Grâce à cette énergique et inépuisable fécondité du hasard, souvent sur une seule feuille il y a plusieurs tableaux à la fois. »

Si son unique dessin reproduit est très réaliste, il n'en reste pas moins qu'en plein XIX° siẻcle, ce modeste qui signait ses œuvres J. Péaron et le Hasard, employa des techniques automatiques, vouées à un si bel avenir comme l'avait deviné Amédée de Ponthieu : « Le principe ? Ce n'est pas Péaron qui l'a posé, ce sont les grands maîtres dont j'ai cité le nom [Vinci etc.]... Il n'a fait qu'indiquer les moyens pratiques de s'en servir. Il a rencontré un gland, il l'a planté, arrosé, soigné, peut-être deviendra-t-il un chêne. »

Voici donc un incontestable précurseur. Saluons-le après George Sand de laquelle nous admirions l'année dernière, l'une des expositions matinales de l'Hôtel Drouot, des paysages du Berry, aquarelles traitées à la manière de ce que Dominguez appellera « décalcomanie sans objet ».

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Les faux-parleurs

Le « Cercle Ouvert » avait annoncé pour le 18 novembre un débat intitulé: « Le Surréalisme est-il mort ou vivant? » Organisateur de la séance, Noël Arnaud sollicita le concours de Jean Schuster, en un entretien téléphonique où il fut amené à annoncer la participation de personnalités trop mêlées pour qu'il fût une seule minute question de notre présence à leurs côtés. Une lettre d'André Breton à Jacques Nantet, qu'on lira ci-dessous, confirma cette prise de position. En fait, à la salle du Collège de Philosophie, devant un public assez restreint, la tribune fut d'abord vide. Un magnétophone se mit à parler anonymement, et il fallut notre protestation pour obliger Noël Arnaud à se présenter comme l'auteur de ce discours, qui nous parut mêler des flatteries à une hargneuse accusation d'irresponsabilité (?) envers les éléments les plus jeunes du Surréalisme. Ensuite l'ex-cireur de bottes de M. Casanova consentit à donner lecture de la lettre de Breton, ainsi que d'une série de missives où trois des orateurs annoncés (Amadou, Lefebvre, Sternberg) s'excusaient pour des raisons de santé. Le premier nommé était seul à y joindre quelques propos sur le thème annoncé, propos que ce n'est pas le lieu de discuter. Quant à Tzara, il n'en fut point fait mention. Le même ruban de magnétophone, prouvant outre mesure une complicité préalable, dévida alors le prospectus publicitaire d'un galopin jadis isouïste, dont l'enregistrement se terminait par des applaudissements en conserve, révélateurs d'une nostalgie des congrès staliniens. Là encore il fallut forcer un lâche à se présenter de face et à honorer - si jose dire - sa signature. Puis, le Surréalisme ne se sentant pas davantage concerné par cette escroquerie, laissâmes nous quelques vieillards précoces à leurs congratulations. Demanderons-nous à M. Jacques Nantet, si le « Cercle Ouvert », dont il reste l'animateur, est autre chose qu'un rond qu'on fait en crachant dans l'eau ?

Gérard LEGRAND.

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Lettre à Jacques Nantet

Jacques Nantet « Cercle ouvert » 8, rue du Val-de-Grâce Paris (5°)
Paris, le 15 novembre 1958

Monsieur, En réponse à votre lettre du 13 novembre, j'ai le regret de devoir décliner l'invitation que vous m'adressez. Cette question que vous avez choisi de poser, voici trente ans au moins qu'elle traîne dans une presse à tout faire son odeur de graillon, Eût-elle été autre que je ne me serais certes pas prêté à une discussion avec des gens - Amadou et Sternberg mis à part — dont je récuse formellement le témoignage. Avis à ces fossoyeurs toujours en chômage : le n° 4 du Surréalisme, même vient de paraître et le premier numéro de Bief, organe mensuel de jonction surréaliste, sera vendredi prochain en librairie. Veuilles agréer, Monsieur, mes salutations.
Signé : André BRETON. 42, rue Fontaine Paris (9°)

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Au printemps les yeux fermés

Pour la première fois depuis 27 ans, Louis Aragon, poète et romancier français né en 1897, l'un des fondateurs du mouvement surréaliste qu'il renia en 1932 pour se consacrer au Parti Communiste Français, rompt le silence qu'il s'était imposé, concernant ses anciens amis et ce qui fut l'idéal de sa jeunesse. Dans le n° 748 des « Lettres Françaises », Louis Aragon publie Un perpétuel printemps. « On s'étonnera que je dise ici, avec une telle insistance, les miens, parlant des surréalistes (...). Mais je dis tout ceci aussi pour ceux qui ne me rejoindront jamais, pour ceux qui m'insulteront encore. Tous. Les nouveaux venus qui ne me connaissent pas, et les anciens amis de ma jeunesse. Ils ne pourront jamais faire que je ne pense pas à eux comme aux miens ».

Réponse des surréalistes: Louis Aragon a trahi le surréalisme au moment où le Parti Communiste Français commençait de trahir la Révolution." Depuis 27 ans, l'histoire de cet homme et l'histoire de ce parti se confondent. 27 années de servilité totale du premier à l'égard du second. Nous tenons Louis Aragon pour l'un des plus conscients complices des assassins de Moscou, d'Albacete, de Mexico, de Prague, de Sofia, de Berlin-Est, de Poznan et de Budapest. Louis Aragon est le propagateur, en France, de théories artistiques et poétiques ultra-réactionnaires, négation pure et simple des positions de sa jeunesse, positions qu'il prétend aujourd'hui, contre toute évidence, avoir défendu au sein de son parti. Une philosophie que nous serions censés avoir en commun, interdirait absolument d'authentifier des sentiments qui effaceraient avec une telle désinvolture les idées générales et les principes moraux - ne serait-ce que pour le temps d'un épanchement. En tout cas : Les acrobaties - de - plume, l'émotion - en - veux-tu - en - voilà, le tendre - reflet - du - miroir - aux - souvenirs, les allures - de frère - noble, les insolences - ça - va - leur - plaire, le tape - à - l'oreille - de - la - romance, le pathétique - à - tous - les - coins - de - page, les - je - te - brûle - mais - je - t'adore, les faux-airs - d'affranchi, ce stock abondant des familiers du Grand-Truc pèse encore moins que toute l'eau de la mer (1). La débandade qui ravage les rangs de son parti inspire-t-elle à Louis Aragon cette étrange nostalgie ? Quoiqu'il en soit : Nous ne sommes pas des siens. La famille, tout de même, ça nous connaît ! Nous ne disons jamais « au revoir ».

Jean SCHUSTER.


(1) Cf. Paul Eluard : Certificat.

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Lettre de Tokyo

Les lignes ci-dessous ne sont pas anonymes : mais on comprendra pourquoi nous n'avons pas reproduit la signature de notre correspondant, Certaines remarques virulentes sur l'emploi du Zen paraîtront en contradiction avec les propos de Guy Cabanel figurant dans notre n° 1.


Tokyo le 19 novembre 1958.
(...) Le Japon, c'est un scandale ! Une carde à jeunesse. Dernière déclaration du Ministre Kishi (un nom prédestiné) « Ceux qu'il faut surveiller étroitement et réprimer, ce sont les intellectuels (traduire « ceux qui pensent ») car à la base des troubles il y a toujours des intellectuels. » C'est assez clair.
Le bon peuple nage dans l'infantilisme organisé : Télévision, radio, presse, etc.
Naturellement les Jésuites et autres RRPP « Verbum Divinum » sont dans la joie, ils préparent dans leurs collèges (tout comme l'Université de Tokyo) de futurs pédants ou bien forment des brebis pour le Bon Pasteur. On n'attend plus que le boucher... Pendant ce temps nos beaux esprits parisiens font des ronds de jambe en se gargarisant de « Zen » et autres « spiritualismes ». Le Zen au Japon, c'est le Bushido, le Bushido c'est le Nationalisme, Militarisme, régime de police, et ce qui s'ensuit ! Au Japon comme ailleurs, les écrivains, poètes, peintres, ont le droit de crever. La place est aux scientistes, physiciens, ingénieurs, matheux. Le plus drôle, c'est que nous marchons dans la combine : il est question de supprimer toute possibilité aux artistes de se rendre en France, pour n'accepter que des scientistes. Nous allons préparer des fabricants de bombes : ils nous remercieront en nous les envoyant sur la gueule !
Pourtant il y a ici des trésors à sauver : les femmes, les rêves du peuple, les dieux et les déesses du Kojki...

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Rubrique lubrique our petites bringues

AMOUREUSES.

La Duchesse D. de D. nous écrit:

Mariée, mais en sang
Mon mari me corrige
Sans égard pour mon rang
Ni mon ventre plaisant
(Vous ai-je dit ? J'attends un enfant)
Que dois-je faire ?
Ma mère conseille de riposter violemment
Mon père dit: « Vidange ».
Signé : Une duchesse à la dérive.

Notre réponse :

Chère Duchesse D. de D.
Nous sommes honorés,
Charmés, ravis
De constater votre dénuement,
Vos bons sentiments et, surtout, votre abonnement
Pour sauver votre enfant
Nous conseillons le langage des timbres.
Emousses la baguette centrale
De l'arbre généalogique marital
Puis, pour lui donner le change,
Collez votre guépard sur le plus gros de ses appointements. Il malaxera moins votre tunicier
Si son turion tourbillonne dans une piaillerie bancaire
Et si tout échoue, consolez-vous car, après tout,
Noblesse oblige, n'est-ce pas?

CROTTINS ET COMMÉRAGES.

Il y avait de la houle hier soir chez Mme Béju de la Motte. Les gardes-champêtres, gibier sur l'épaule, mâchaient les betits fours en trompettant.
Les douairières : la Comtesse Molle, Mmes Enrubannée, Congestionnée et Encorsetée, Fémina en main, pontifiaient en se pavanant devant l'Ambassadeur de Chine. La jeune P.E.M. dans sa plus belle robe de dentelle riait à faire trembler ses faux seins en papier mâché. Mâché par qui ? Qui palpe quoi ? Quand ? Et APRÈS-SKI ?
On Dit
ON DIT
ON DIT : que l'actrice Jevotte
Ouie (elle portait un collier de fausse honte sur un petit tailleur de Bouse) a reçu un merveilleux diadème de suppositoires serti de plumes et d'humiliations de son ami le Ministre de la Guerre (« Mollo » pour les intimes) qui est aussi l'auteur de « Pour qui crèvent les Gars ? » et « Autant en profiter ».

Joyce MANSOUR.

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Des eaux usées

Que Dada soit mort cacochyme dès 1921, nul n'en doute mais ce lointain décès ne justifie en rien le procès de béatification auquel il est soumis depuis quelque temps. Rien n'a été plus décevant et plus exagérément gonflé que Dada. Son retentissement fut exactement proportionnel au vide que la guerre avait produit dans les esprits. Réaction contre la monstrueuse sottise que celle-ci avait engendrée, Dada ne représente en fait que le réflexe de l'autruche niant le danger en se cachant la tête. Sous une apparence de violence, au demeurant toute verbale, Dada n'avait guère que la vertu d'assurer une publicité de tous les instants à son importateur. Quant à ses rapports avec le surréalisme, mieux vaut dire qu'il n'en a jamais eu aucun à proprement parler : deux tendances étaient alors juxtaposées dont l'une - le surréalisme — ne s'était pas encore définie, et c'est tout. A peine mort, Dada était déja oublié, aussi ne faut-il pas moins de deux ouvrages paraissant à un an d'intervalle pour tenter d'en exhumer quelques cendres afin de restituer un terne éclat au personnage central de cette affaire, que vingt ans de stalinisme ont définitivement transformé en clochard intellectuel. Il n'est pas non plus sans intérêt de remarquer que L'Aventure Dada a pour auteur le Groin- Huppé dont l'élégance de comportement, d'esprit et de style est loin d'être la qualité dominante. De son côté, le Déjà jadis du Grand-Rat-Déjeté obeit aux mêmes préoccupations, l'un et l'autre étant marqués au coin d'une absence totale d'objectivité. Ce dernier auteur ne peut en outre se défendre de la nostalgie d'un passé qui lui a conféré une existence éphémère. Qu'il s'allie donc avec Raoul Haussmann dont le Courrier Dada révèle qu'il en est resté à 1920 ! En vérité, tout cela dégage une poussière asphyxiante.

B. P.

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La magie des menottes

Depuis longtemps l'Eglise n'entretient plus avec le merveilleux que des rapports de chien à loup, mais peu chaut à la Société Française de Parapsychologie qui, publiant l'appel de M. André Sanlaville afin que soit constituée une « équipe d'observateurs qualifiés pour étudier les phénomènes de hantise » (numéro 15 de la Tour Saint-Jacques, mai- juin 1958) approuve sans réserve les lignes suivantes : « ...Il faut rechercher les phénomènes spontanes, ce qui peut se faire par les informations provenant de la presse (Argus de la presse), de la police et des autorités ecclésiastiques, lorsque ces deux dernières seront convaincues qu'une collaboration efficace peut leur être apportée pour élucider ou faire cesser les phénomènes ». Les vieilles pierres de Paris sont, paraît-il, en proie à une sorte de gangrène à laquelle la science des architectes n'a pu apporter que des palliatifs. Qu'attendent les responsables de la Tour Saint-Jacques pour liquider la tumeur cancéreuse qui fait peser sur leur entreprise une suspicion fondamentale ?

G. L.

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Au Gala des objecteurs de conscience

PALAIS DE LA MUTUALITÉ, 5 DÉCEMBRE 1958 Extrait de l'allocution prononcée par André BRETON

Qui d'entre nous n'est sensible à l'effroyable dépréciation du mot « honneur » à travers des locutions comme « le point d'honneur », « l'honneur de servir ", « mourir au champ d'honneur », « rendre les honneurs funèbres », « la légion d'honneur », etc...? À ce mot. ravalé par l'usage à la négation de ce qu'il dut signifier, il n'est pas de mot qui s'oppose plus victorieusement que le mot conscience. Ce n'est certes pas de la mise en sommeil de cet honneur-là, mais bien de la perte de la conscience, au sens moral du terme, que nous mourons. La conscience, c'est cette force individualiste, oui, par excellence libertaire, qui, en présence de telle ou telle situation, nous introduit, pourvu que le chemin n'en soit pas saccagé par notre faute, au plus secret de nous-même et nous impose de nous inscrire contre ce qui constitue pour nous le scandale ; la conscience, c'est ce qui nous unit à cette vocation de l'homme, la seule en dernière analyse qu'on puisse tenir pour sacrée : celle de nous opposer, advienne que pourra en ce qui nous concerne, à tout ce qui attente à la plus profonde dignité de la vie. Le sens de cette dignité est en nous inné, nous ne pouvons le perdre qu'en nous dépravant. A condition de n'avoir pas mésusé de ses composantes, qui sont la liberté et l'amour, c'est là tout le diamant que nous portons en nous. Il me paraît pour le moins inutile qu'une telle conscience se réclame de préceptes religieux: elle est de nature à s'affirmer librement, hors de tout espoir parasite en une récompense au-delà de la vie. Toute pensée qui a cessé de faire corps avec cette conscience ne peut être qu'une pensée dégradée, qu'une pensée justiciable du mépris. Il n'est aucun besoin de faire appel à des instances surnaturelles pour se convaincre que le duel atomique est un monstre que nous alimentons de notre patience, ne serait-ce qu'à egard des physiciens ou que la guerre d'Algérie, suintante de pétrole, est une débauche de crimes.

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Noir et rouge

C'est Bakounine et Marx réconciliés. C'est aussi le titre d'une fort attachante revue publiée par un groupe de jeunes anarchistes qui portent, avec une ferveur plus que jamais partagée par les surréalistes, les couleurs de la Liberté. Du « mythe de la gauche » qu'ils dénoncent judicieusement au refus inconditionnel qu'ils opposent à l'existence qu'on nous fait - leur lutte est la nôtre, leur volonté est la nôtre.
Aucune barricade construite sur le sable de l'efficacité et de l'opportunisme ne résiste - on l'a vu récemment en France — à la moindre poussée fasciste ; c'est que la tactique, qui a trop longtemps primé sur les principes, doit être reconsidérée avec rigueur. A Noir et Rouge, notre fraternel salut.

Jean-Jacques LEBEL.