Le Principe d'équivalence et sa moyenne élevée, 1
Première approche
- Manipulation. L’opérateur prend une pomme de bonne qualité ; la reinette du Canada, en septembre-octobre, fait on ne peut mieux l’affaire, mais, à condition de choisir un spécimen bien formé, presque toutes les variétés peuvent être utilisées.
Si on emploie une lame de dimensions suffisantes, bien affilée, il est relativement facile, moyennant un entraînement raisonnable, d’obtenir, par une coupe rigoureusement plane, deux moitiés de pomme identiques.
Banalité. Prenant la moitié gauche entre le pouce et l’index de la main droite, l’autre moitié par les doigts correspondants de la main gauche, il vous est aisé d’appliquer l’une sur l’autre les surfaces de coupe et de les faire coïncider exactement. La pomme réapparaît entière ; seule une imperceptible ligne fait savoir aux initiés qu’elle se compose de deux moitiés (mais quelle pomme non encore traumatisée ne comporte deux moitiés ?).
Expérience. Au lieu de reconstituer la pomme par application directe, on peut le faire avec interposition d’une feuille de verre. La seconde moitié de la pomme, située au delà de l’écran transparent par rapport aux spectateurs, est aussi visible que dans le cas précédent. Les deux moitiés sont, en fait, séparées par un intervalle correspondant à l’épaisseur du verre, on ne peut dire qu’elles sont littéralement accolées ; mais, pour les calculs théoriques, on considérera que cet éloignement, réduit à presque rien par l’emploi de verre extra-mince, est nul.
Difficulté. On peut reproduire l’expérience en remplaçant le verre par une plaque opaque et dépolie d’une substance quelconque. On fait alors les constatations suivantes :
a) La seconde moitié de la pomme, située au delà de l’écran, reste invisible pour l’observateur situé en avant.
b) Cette moitié postérieure peut être enlevée sans que les phénomènes observés changent : sa présence ou son absence sont de conséquence nulle pour le spectateur.
Remarque. Les deux moitiés étant placées dans des positions symétriques par rapport à leur séparation (dont l’épaisseur théorique, nous le rappelons, doit être considérée comme nulle), on a réalisé une illustration concrète de l’adage : “ vérité en deçà, erreur au delà ”.
- Homologie. Le mécanisme de la substitution une fois acquis, rien ne nous empêche de reproduire les opérations déjà décrites en utilisant un miroir plan dont la face réfléchissante sera tournée vers le ou les spectateurs : Ceux-ci peuvent constater :
a) que, les deux moitiés une fois mises en place, la pomme apparaît reconstituée (comme en 3.), toujours sous réserve d’une légère faille théoriquement négligeable ;
b) que, si on enlève la moitié postérieure, l’aspect de la pomme, telle qu’elle est visible pour eux, n’est pas altéré.
Le phénomène est symétrique de celui qui a été signalé plus haut en 4. a) : alors que la moitié présente restait invisible, maintenant la moitié absente continue d’être visible.
Certains commentateurs vont jusqu’à dire qu’il n’y a pas seulement symétrie mais bien identité : dans l’un et l’autre cas la présence ou l’absence de la moitié postérieure ne modifie en rien ce que le spectateur peut observer ; absente ou présente dans le premier, il ne la voit pas ; présente ou absente dans le second, il la voit.
- Péripétie. Plus fréquemment qu’on ne pourrait le croire il arrive qu’une des moitiés de la pomme disparaisse en cours de manipulation : un enfant ou un singe parmi l’assistance la dérobe, l’opérateur distrait la mange lui-même, après l’avoir réduite en quartiers, etc. Le plus simple, en pareil cas, est de modeler rapidement une moitié de pomme postiche en mie de pain.
APPLICATION
On voit d’emblée la portée théorique de cette série d’épreuves.
Avant de saisir le parti offensif qu’elle nous offre, signalons immédiatement l’un des services pratiques qu’elle peut rendre. Elle permet de résumer avec clarté et élégance tout ce que les hommes ont dit ou écrit depuis six mille ans sur l’âme :
Si l’âme existait, elle ne manquerait pas de rester invisible, comme la moitié de pomme présente en 4. a).
Si l’âme n’existait pas, elle serait visible comme la moitié absente en 5. b).