MÉLUSINE

La Rivière Aa, 2ème partie

II

Le vol des violettes fleurira un temps sur la vague
De soie et de chaleur tuée bellement par la raie géante
Qu'elle a provoquée vers la fin d'un festin
Dans le ventre d'une falaise haute comme
La Tour d’Auvergne à quatre heures du matin
L'éclairement des voies publiques les ramifications du télévistaphone
Toutes les percussions ou permissions de la civilisation
Urbaine chrétienne obligatoire n'ont pas oblitéré
L'appel tellurique de la faim au creux du cœur
Aux aigrettes qui vont de la tête à la pointe des doigts
Parqué à pieds comptés dans les plaines du gabelou
Le tabac remue ses oreilles d'éléphant et transmet
Les flics disent téléphone arabe
Aux bistrots enfumés des grands ports aux maisons isolées des hautes terres
Comme à la chambre de l'étudiante le rire des sirènes
Le friselis des herbes au passage du serpent le cri joyeux
Du rocher qui crève la coque d'un transatlantique
Le miaulement discret du sable sec quand y court un couple nu
Le tabac balance sa trompe cueille les grenouilles
Entre les joncs les lance vers les nuages
Au sommet de leur trajectoire elles éclatent en fleurs de pissenlit
Cinq pour les mâles six pour les femelles
Vives comme œil de chat siamois un instant abasourdies par l'explosion
Elles planent trois minutes puis descendent sur un rythme de valse
Celles qui arrivent sur les étangs mares ou ruisseaux
Se transforment en loirs se sauvent à la nage et vont
Sécher leur queue au sommet des arbres
Celles qui atterrissent dans les prés y prennent racine
Leurs fleurs l'année d'après seront des réveils à une seule aiguille
Dans les terres labourées elles creusent de longues galeries
Où viendront s'installer les mouches à miel
Les crayons géants les dés doubles-six les coqs de repos
Toutes bestioles ennemies du tapage
Quand le tabac est las de lancer qu'il a essayé
Sans succès
D'accoupler la sauterelle au tire-bouchon
Il décide de voyager et va commander une voiture
Au prochain garage

Avec un seau d'eau froide on peut emplir une timbale
Ou éteindre une bougie à condition qu'elle soit allumée
On peut boire avec ou sans soif à même le seau
Ou dans le creux de la main on peut aussi raconter
Au fil de l'eau une histoire secrète ou une histoire
Bien connue pareilles l'une à l'autre
Si l'eau est coupante on peut se blesser
Par maladresse ou malveillance faire saigner
Qui vous tend la main si l'eau est douce
On peut peigner avec une femme consentante
Ou lui chatouiller la plante des pieds
On peut essayer d'apprivoiser un poisson
Mais il y a peu d'exemples de réussite ce qui ne doit
Cependant décourager personne tandis
Que les boîtes d'allumettes se laissent facilement
Détourner de leur chemin
Quand l'eau est assez dure on peut ébrancher un acacia
Ouvrir une noix de coco casser une bouteille
Façonner des étagères construire un château d'eau
Avec l'eau morte on ne peut faire grand chose
Sinon boucher les trous des vieux vêtements
Qui saliveront d'autres trous à côté des anciens
L'eau trouble s'adapte à plusieurs circonstances
Elle ne préfère pas les fins d'après-midi comme on imagine
Elle aime le marc de café et les cornichons
Si on la laisse en paix elle dort tout comme une autre
Chacun sait que l'eau courante est pressée
On la tient pour futile nul n'écoute ce qu'elle dit
Des savants très savants expliquent qu'elle s'amuse
À changer la face de la terre mais ne savent pas
Pourquoi elle pousse des cris lugubres dans les hôtels parisiens
L'eau salée déteste les célibataires les opiomanes
Le papier imprimé les gens d'âge tout ce qui ressemble
À un dos d'armoire ou à une boîte de lait condensé vide
L'été si on tente de la capturer
Elle s'enfuit ne laissant au ravisseur que sa chemise
La nuit elle promène la lune en laisse
Parfois elle joue en même temps de la grosse caisse
L'eau rougie solitaire dans sa stupidité
Vit cloîtrée l'eau bénite tient bordel de têtards
On y entend de rares récits d'après nature
L'eau filtrée est en chômage
Comme les canons de bronze et les carrières de marbre
La vapeur d'eau est un souvenir du XIXe
Sa variété naine était cultivée par les dames du monde
Dans des pièces de plafond bas nommées boudoirs
Avec décolletés maris balzaciens femmes de chambre délurées
Amants dans les placards et autres accessoires notariés
L'espèce géante avait ses racines aux entrailles de la terre
Servait d'encens à toute sorte de bien pensants
Envoyait le malheur au delà des mers
Engendrait de sombres émeutes aux lendemains
Dévoués à sa boulimie
On conserve l'eau distillée dans des fioles
Bouchées à l'émeri de peur qu'elle ne répande
La vermine qui s'attaque à l'espèce humaine
Aux animaux domestiques aux monuments historiques
L'eau de pluie aime les femmes nues
Qui ne le lui rendent pas toujours
Absence d'harmonie dont les Encyclopédistes
Firent état dans leur polémique
Contre ces calotins d'horlogers

Quand arrive le printemps les feuilles mortes
Se conduisent à la façon des provinces héréditaires
Dans les très vieilles monarchies en costumes folkloriques
Elles lancent des pétards au coin des rues organisent sur les places
D'interminables tournois de chat perché échangent
Des toiles de maîtres contre des embrasures de portes
Se grattent l'oreille avec de petits bouts de bois
Sculptés comme des douairières plongent dans les fleuves
Pour mettre les poissons en garde contre les pêcheurs déguisés en curés
Dorment et bavardent nuit et jour
Sans souci des piaulements de l'artichaut
Des moqueries de la carotte râpée
Elles rendent visite aux sacs de café des entrepôts
Vont aider les gardiens des musées à fourbir les armures
À cette même saison le lapin des neiges
Le chapeau de gouttière l'essence térébenthine
Tiennent des conférences dans les confiseries
Pour savoir s'ils déclareront la guerre
Aux chemins de traverse ou aux sabres de cavalerie
Ils sont chaque fois interrompus par l'arrivée
D'escadrons de taupes volantes qui avec leurs pipes
Cassent les soucoupes puis sodomisent le tiroir-caisse
Lequel se venge longtemps après en mordant les demoiselles du magasin
Tout ce tintouin n'empêche pas le printemps
De couler comme une petite fontaine
Sur la ligne de partage des eaux

Aujourd'hui le brouillard reçoit la pluie
Avec des rugissements circulaires pareils à des tranches d'ananas
Aussi larges que les tiroirs du collectionneur de profils
Facile de capturer un profil de lion ou de cloporte
Ou de vicaire de jolie fille ou de dromadaire
Le profil d'une mine de plomb c'est déjà délicat
Mais le profil d'une pieuvre découpant une meule de gruyère
Au chalumeau celui d’un sac de tomates
Cherchant une entrée de métro murée depuis les dernières élections
Ces joyaux d'une collection ne se peuvent obtenir
Que par travaux et ruses sans nom emploi
D'apparaux ultra-modernes de produits chimiques
De tables magnétiques corpusculaires végétales
Toutes denrées qui s'achètent se volent ou se fabriquent
Le désespoir de l'amateur c'est la chance
Les mœurs du tiroir ont occupé les spécialistes
Tout le siècle dernier juste retour leurs théories
Ont été balayées par la venue du tiroir télescopique
Du tiroir végétarien du tiroir-boule du tiroir-peigne
Du tiroir bicéphale des tiroirs à vasque préhensile
D'innombrables variétés sous-variétés
Contre-variétés de tiroirs qui vivent dorment
Se reproduisent de façons telles
Qu'aucun système n'en peut rendre compte
Brouillage ou brouillard intellectuel
Expliquent ces messieurs qui n'entendent pas
Perdre la face pour si peu
Ni la parole car ils croient bien connaître
Le fonctionnement du parapluie

C'est aux laminoirs que le fer prend le fil
Qui assure sa solidité il peut alors selon le vieux rêve
Essayer de battre le bois sans y jamais parvenir
Combat subtil où la ruse éclipse la force brute
Sans que l'intelligence réussisse à déliter la ductile obstination
Toute l'histoire tient comme un fruit
Par son pédoncule au rameau nourricier
L'homme qui se voudrait arbitre agite la sonnette du déjà vu
Attachée à son gros orteil comme une bulle d'air à l'abdomen du dytique
La procession de chenilles velues est retour d'un train nocturne
Dans la vallée de la Seine avec ses longs poils de lumière
La pièce de cinq francs qui tombe sur le comptoir
Vers minuit dans un bistrot qui va fermer
Fut éclat de silex sur un chemin bordé d'aubépines
Le cri du coq est la clôture d'une dispute
Entre une jeune et une vieille mégère
Qui viennent de lessiver d'obscures affaires de famille
La bouche fardée d'une fille qui passe en voiture
C'est à nouveau le réveil en fin d'après-midi
D'un écolier qui a fait l'école buissonnière sur un tas de foin
Le gros rat gris trottant d'une poubelle à l'autre
Répète un discours politique applaudi cinquante ans plus tôt
La douzaine de verres captive à l'étalage d'un bazar
A été rires au bord de l'eau à ras de l'herbe stridulante
La peau d'orange qui flotte sur la panse
Du Vieux port à Marseille était robe d'été
Fendue sur jambes nues
Le bout de papier déchiré qu'un vent malicieux
Plaque contre un tronc de platane
Est un repas d'amis le peintre dessinait sur la nappe
La fenêtre qui bat au bout d'un couloir n'est autre
Que le haut talon d'une demoiselle drapée dans son secret
Secret pareil à l'allée d'un parc dont les arbres
S'élèvent très au-dessus des toits du château
Le fragment de brique romaine
Au fond d'un tiroir a été chaud comme une main
Longtemps tenue doigts emmêlés
Le sifflement d'une marmite n'est pas une invention utile
Mais le ciel étoilé au-dessus d'un quai de gare
Long comme un jour d'été
Vitrine d'avril le village de l'adret quand la neige
N'est plus que plaques ajourées avec les poules blanches
Sur le fond déjà sombre des prés pentus ce sont manèges
D'une fête oubliée les filles au regard par-dessus l'épaule
Épaule plus parlante que paroles
Ces trois petites boîtes d'allumettes il les connaît bien
Ressauts de marbre au pied d'une esplanade
Plantée de cyprès comme un gâteau d'anniversaire
Dans une ville italienne propice à la lecture
Des romantiques allemands
Les cailloux de sucre brillant qu'une très vieille dame
Offrait cérémonieusement à ses visiteurs enfantins
Apparaissent et disparaissent dans la chevelure
De la brune écuyère au cirque pareil
À un premier voyage en chemin de fer
Les longs tuyaux de plomb du musée d’Arles
Dorment dans la lumière fraîche du silence
Comme des chaussures à peine fatiguées rangées dans la nuit qui conduit au dimanche
Les cannes de Provence quand le Mistral se lève
Papotent lointaine bande d'aras
Qui commentent le passage du tigre
Et le chagrin du singe qui a perdu son petit
Le clou de tapissier tenace comme la tique laid
Comme la mouche suscite la hargne
Du restaurateur novice ni plus ni moins
Que les menues tromperies d'un épicier de quartier
Le pot de confitures qui tombe d'une étagère
Avec étoilement de vitrine lapidée
A été galopin graveur de graffitis obscènes
Les osselets qui sautillent sur le pas des portes
Sont aussi avant comme après formulaire de magie noire
Propre à faire tomber les cheveux avant l'âge
À provoquer la faillite ou les rages de dents
Les mêmes teintés en rouge servent à la magie blanche
Et font gagner à la loterie
L'homme avec un rire intérieur de ramilles sèches
Passe sans troubler le jeu des fillettes
Dans sa poche une pièce brutalement percée au poinçon
Plisse et déplisse sa gueule de lamproie

Les abris sous roche sont archives de temps épais
Objet de plaisanterie pour chevaucheurs de mécaniques
L'herbe sèche y accueille le sommeil du chat redevenu sauvage
Les confidences des jeunes à la recherche du puits d'amour
L'hirondelle rouge y niche le grand lézard y chauffe
Ses agates tout pareil à ses plus lointains ancêtres
Ramassez un caillou il sautera d'une main dans l'autre
Comme un ouistiti en cage jetez-le vers le ruisseau caché
Il traversera les feuillages avec l'assurance d'une racine cubique
Ce sont les heures où la plénitude de ce qu'il est convenu
De nommer vide conduit à la limite du haut et du bas
À cheval passe la neige d'été ses clochettes tintent
Comme le lustre du kursaal où le grand épileptique
Perdait ses derniers roubles une fastueuse tapisserie
De dames versicolores multiplie ses orbes mousseuses
Comme crème fouettée ou mer d'équinoxe la salle
Est la boîte crânienne d'un sous-marin au moment
Où la pression approche du point d'écrasement
Le commandant de l'esquif maléfique se demande
Si ce sabot va obéir aux gouvernes ou si lui
Capitaine de frégate va crever pour la patrie sans parler de l'équipage
Le renflement occipital de cette coupole
Est occupé par le soufflet c'est là que les huîtres dévorent les chaises
Que les perles enfilent le caviar que les rusées font la roue
Que les bellâtres jouent du balafon tandis que de jeunes poètes
Préparent la salade de pissenlits
Pour de jolies femmes qu'ils rendront peut-être belles
L'œuf dur qui préside ces festivités
Doit son pouvoir au globe d'or des empereurs germaniques
Mais il croit le tenir de son mérite
Tout à côté une porte secrète ouvre sur l'escalier des charpentes
Qui de détours en reposoirs mène au lanterneau du sommet

Le champagne renversé forme sur le marbre
La carte en relief d'une pénéplaine encore vierge de chevalements
Une ville du Rhin raconte le désordre de ses colombages
Sur un plateau où la nonchalance de doigts aux ongles peints
Cueille le grignotis de bouches ennemies du silence
La provocation gonfle les muscles des nageurs
Sous les lourds vêtements mâles
D'aucuns armés de sabres d'abordage imaginaires
Simulent des combats singuliers qui se prolongent
En pugilats ou en rires laborieusement sarcastiques
D'autres trouvant de bonnes prises aux stucs de la décoration
Grimpent allégrement au mur occupent un moment la corniche
Pour redescendre avec des maladresses de hannetons
Déçus du peu d'admiration des femmes
Comme de l'indifférence de leurs rivaux
Par une lucarne haut perchée la lune échange
De la vaisselle d'étain contre des pièces de cachemire
Sur la plage une sirène solitaire hèle un promeneur
À la démarche juvénile qui la prend pour une baigneuse
Impudique attardée et l'invite à venir prendre un pot
Il s'étonne de la voir nager en silence vers le large
Quand il comprend son erreur il fouit le sable
Des deux mains en sifflant comme un porc-épic
Cérémonie aussi vaine que le discours d’un pompier
Inaugurant un canal d'arrosage dans un champ de ruines

Palmes palmes profère le crieur public on ne sait
S'il va évoquer des canards des cygnes une oasis
Ou un chapitre d'histoire ancienne tel est le sommeil
Après une soirée riche en vins de course en propos cascadeurs
En problèmes mal ravalés en vrilles érotiques
Le tunnel central sinueux comme un vieux cep
Absorbe les galeries latérales avec l'impassibilité
D'un avaleur de cirque le dormeur donne du feu
Aux joueurs de cartes salue les armoires d'armures
Bave dans les mares salines évite l'ombre
Des combles lèche les échelles cache ses mains
Au passage des pains fendus insulte les raves
Dans leurs cages roule des pelotes de chauves-souris
Qui se dérouleront dans son dos à la façon
Des cordes à nœuds dans un film de cape et d'ortie
Il sort les miches de leurs niches porte les serrures
Jusqu’aux fenêtres qui donnent malheureusement sur le noir
Il voudrait bien s'arrêter et dormir
Mais la paroi qu'il cogne lui rappelle
Que tout cela se passe en rêve et qu'il dort déjà

Les moutons de l’île de Pâques ont le même nombre de pattes
Que ceux des autres régions du globe
L'homme qui vient de lire cette proposition
Gravée sur un galet poli au fond d'une crique
L'inscrit dans sa mémoire jette le disque ovoïde à la mer
Dirige sa marche méditative vers l'intérieur des terres
Les couleurs de la giroflée se retrouvent sur la girelle
Sous divers noms le poisson en forme d'aiguille
Promène une arête bleue Hugo inventa l'asphodèle
La noisette se cache au repli des feuilles
Comme la chandelle sous le boisseau
Chercher le tonnerre est une occupation aussi ridicule
Que l'ambition du pape qui voulait devenir garçon de café
Le chemineau à l'entrée d'un patelin ricane comme une girouette
Le cours retors du flot mental vient de peindre sur sa rive
L'inanité des bibliothèques consacrées à la bêtise humaine
Ne suffit-il pas de constater que la coccinelle
Cette charmante bestiole a été nommée bête à bon dieu
Les villes n'ont plus de portes portefaix est un état disparu
La société protectrice des coccinelles répand partout
Ses placards stupides la petite bête si mal nommée
Survit quand même
Salsifis salsifis est une exclamation de doute
La carotte redondante cède à l'arracheur
Plus vite que le plantin le pavé est objet de musée
Le papier dévore les forêts l'encre creuse les cervelles
Ce patelin pourrait distraire un caméléon un bon quart d'heure

L'ombre portée en forme de cadran solaire
Engendrée par des mobiles se déployant
Sur les toitures couvertes de toiles transparentes
Sert de fabrique de bouchons dans la remontée
D'un vallon écarté qui cherche son héritage
Clé en main
La souricière qui occupe la banque d'un mercier
Dévore les bagues des téléphonistes les légumes
Destinés aux hôpitaux les soupiraux du troisième étage
Avec la célérité d'un moulin incendiaire
Qui prend le vent pour se ménager un alibi
Ou aménager une maison de passe
Les autorités la félicitent de penser à ses vieux jours
Même le dimanche
Pendant ce temps une meule de foin hargneuse comme un clou de girofle
Enfermé dans un poulailler adhère
À une confrérie fondée jadis pour chercher les os
Des conscrits bègues afin d'endiguer les crues
Et les tours de bâton des épidémies de sécheresse
Voulant prouver que sa destinée n'est pas tributaire
De la patience qui procure le charbon
L'homme coupe ses cheveux qui volent sans connaissance
Autour des filets tendus au crépuscule
Qui n'empêchent pas celui-ci d'emporter
Les roues d'une voiture qui se promène à l'œil nu
Avec les gestes limpides d'un pot de safran nageant
Dans l'abondance heureux comme un orage qui vient de retrouver
Sa gibecière