Le Futurisme à Paris, une avant-garde historique explosive
par Henri Béhar, le 10 janvier 2009
PUBLICATIONS DIVERSES« Le Futurisme à Paris, une avant-garde historique explosive », Universalia 2009, p. 365-66, repris dans l’Encyclopédie Universalis.
Voir la notice du Centre Pompidou : Le Futurisme à Paris - Une avant-garde explosive
LE FUTURISME À PARIS (exposition) - Encyclopædia Universalis
Mon article :
À Paris, le Centre Pompidou présente, du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009, une exposition consacrée au « Futurisme à Paris », significativement sous-titrée (d’après Larionov) « une avant- garde explosive », qui se transportera ensuite à Rome puis à Londres (Tate Modern). Son objectif est de célébrer le centenaire de ce premier mouvement d’avant-garde du XXe siècle qui se fit connaître, sur le plan littéraire, par le manifeste de F. T. Marinetti, lancé à Paris dans Le Figaro le 20 février 1909. Elle propose donc la reconstitution quasi intégrale de la première exposition futuriste dans la capitale, à la Galerie Bernheim Jeune, en février 1912. Son promoteur, Félix Fénéon, ne pouvait faire moins que l’annoncer à grand renfort de néons, et elle devait circuler à Londres, Berlin et Bruxelles. La qualité plastique des œuvres présentées, la nouveauté des positions théoriques, la contribution majeure du mouvement à l’essor des avant-gardes sont désormais indiscutables. Les futuristes utilisèrent les ressources de la provocation et du multimédia, exaltant le monde moderne, la civilisation urbaine, les machines et la vitesse. Ils ambitionnèrent de rapprocher l’art et la vie, prétendant à un art total. Pourtant, le propos reste ambigu, puisqu’il entend réévaluer la place et le statut du « premier » futurisme, tel qu’il se présentait à Paris ; en même temps qu’il évoque la réaction parisienne à ce mouvement nationaliste. Et l’on n’est pas étonné des réactions hostiles qu’il suscite.
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La démarche se veut pourtant didactique et dialectique : — thèse : les nouvelles théories scientifiques pénètrent le monde artistique, tant le pointillisme que le cubisme ; — antithèse : les futuristes font exploser la peinture tant par les couleurs que par les thèmes ; — synthèse : résolution des contraires par la Section d’or et l’Orphisme (Apollinaire) qui regroupe Delaunay, Francis Picabia et Marcel Duchamp, dont les tableaux transportés à l’Armory Show de New York (1913) vont, en retour, irradier l’avant-garde européenne. De cette synthèse participent les œuvres des cubofuturistes russes et celles des vorticistes anglais, dialoguant avec les Italiens.
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La controverse, suscitée avec un sens futuriste de la provocation par le commissaire de l’exposition, Didier Ottinger, n’a pas manqué d’éclater aussitôt. Ne prétendait-il pas que le cubisme représentait l’académisme, la tradition face au futurisme, au moment même où il demandait un réexamen dépourvu de toute passion ? Or, en réduisant l’exposition à la seule peinture (ou presque, dans la mesure où les livres apparaissent de manière statique), il était loin de présenter la totalité que voulaient embrasser les futuristes. Ses catégories relevaient d’un découpage obsolète. Surtout, il revenait sur de vieilles lunes opposant cubisme et futurisme. On soulignait aussi l’absence de l’Allemagne et de la Pologne, et enfin on reprochait à l’ensemble d’être sagement ordonné, loin de l’explosion annoncée. Plus radicalement, s’appuyant essentiellement sur les manifestes du mouvement, d’autres expliquèrent que le futurisme n’avait aucun intérêt. En France, les artistes qui ne lui avaient nullement prêté attention ne pouvaient donc avoir subi son influence. De même en Russie, où le cubofuturisme n’avait pas attendu la visite de Marinetti, d’ailleurs fort mal reçu, pour avancer dans le domaine artistique et littéraire. Il est vrai que l’accueil parisien fut plus que réservé : de Gide et Claudel aux divers groupes artistiques, tous se gaussaient de la jactance de Marinetti. Quant à l’avant-garde européenne (Dada, surréalisme), elle lui fut rapidement hostile. Dans un tel contexte, même le ralliement (lyrique et scatologique) d’Apollinaire restait suspect.
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Quelles leçons tirer d’une telle exposition ?
D’une part, que les œuvres montrées méritent effectivement d’être reconsidérées. On est ébloui par cet extraordinaire foisonnement en un si bref délai : Les Funérailles de l’anarchiste Galli (Carlo Carrà, 1910-1911), La Rivolta (Luigi Russolo, 1911), La Risata (Umberto Boccioni, 1911), La Danse du Pan-Pan au Monico (Gino Severini, 1910, réplique de 1959). La disparition prématurée de Boccioni et de Sant’Elia (pour l’architecture) fut préjudiciable au mouvement futuriste et à l’art en général. D’autre part, que les propositions du futurisme dans diverses branches esthétiques furent souvent révolutionnaires. On songe à la sculpture, à la typographie, à la photographie, à la musique et à l’art des sons (Russolo, 1913), à la danse (V. de Saint-Point, 1914), et surtout au cinéma et au théâtre où la synthèse futuriste éclate. Plus que d’un art total, il s’agissait bien d’embrasser la totalité de l’art. Et davantage encore avec la mise en scène des manifestations... Enfin, que le futurisme contribua effectivement à rapprocher l’art de la vie, par ses thèmes, sa dynamique propre, et le contact qu’il établit avec un public très divers, voire populaire. Même si, prudemment, elle ne montre que la première époque du futurisme, avant la Première Guerre mondiale, cette rétrospective demande un éclairage historique. S’agissant des rapports du mouvement avec le fascisme, on s’accorde désormais à distinguer deux périodes, dont la première, même si elle est belliciste, correspond à une revendication d’indépendance et d’unité nationale. Peut-on aller plus loin en prétendant, comme certains, que le futurisme contenait en germe le fascisme ? Ce serait là commettre un péché d’anachronisme, d’autant plus que certains futuristes chassaient alors sur les terres de l’anarcho-syndicalisme et de l’anarchie. Il est clair que par sa foi en l'avenir, le futurisme a inventé un nouveau rapport de l'homme au monde moderne, et préfiguré bien des avant-gardes.
Henri BÉHAR
Bibliographie
Le Futurisme à Paris, une avant-garde explosive, sous la direction de Didier Ottinger, catalogue de l’exposition, Centre Pompidou, 2008, 360 p. Dachy, Marc, « Une avant-garde ridicule », Critique, n° 404, janvier 1981. Lista, Giovanni, Futurisme : manifestes, documents, proclamations, L’Age d’Homme, Lausanne, 1973. Sola Agnès, Le Futurisme russe, Paris, P. U. F. , 1988.
Voir sur ce site : Tristan Tzara, fourrier du futurisme, Futurismi